Toutes les femmes françaises… -Poireau pommes de terre

Encore une recette que je n’aurais jamais pensé à publier, jusqu’à aujourd’hui… Je le fais pour deux raisons : parce que c’est bon et parce qu’on l’oublie. C’est une soupe que je fais plusieurs fois par hiver, sans y penser, sans même me dire que c’est de la cuisine. Sans penser que, comme toutes recettes, on peut la rater, la réussir mieux certaines fois… Si on a juste un poireau, de l’eau et quelques pommes de terre, on peut faire un bol délicieux. Pensez-y.
C’est aussi une recette anti-gaspillage telle que je la fais. Je ne jette jamais le vert des poireaux (que j’ai vu finir à la poubelle toute mon enfance et que j’ai moi-même longtemps jeté…). Quand je fais des poireaux vinaigrette par exemple (recette), je garde la partie très verte que je n’ai pas cuite. Et ce vert est une base idéale pour la soupe. 
Et dernière raison pour laquelle cette soupe me donne le sourire : Marguerite Duras. Je l’aime beaucoup et je la lis depuis toujours. Elle a écrit un texte sur la soupe de poireaux qui est à la fois une vraie recette (que je ne fais pas exactement pareil, d’ailleurs) et un vrai portrait social français. Le texte est rugueux, désabusé, un peu phallocrate, comme Duras, mais il me réjouit. Cette phrase en particulier : « toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes »… Et c’est vrai, ce n’est pas très ragoûtant, une soupe trop cuite. 

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Poireau pommes de terre

Ingrédients, pour deux bols ou deux belles assiettes

  • 1 poireau ou le vert de 2 ou 3 poireaux
  • 4 belles pommes de terre « à soupe » qui fondront bien à la cuisson (mais toutes les pommes de terre vont, au fond)
  • Eau, sel et poivre

Préparation 

Lavez le poireau ou le vert de poireau, veillez à bien éliminer tout le sable et coupez les parties abîmées. Tout le reste se met dans la soupe. Emincez.

Pelez les pommes de terre, lavez-les, séchez-les et coupez-les en petits dés.

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Placez le tout dans une cocotte et couvrez d’eau à hauteur. Avec de l’eau au ras des légumes, on obtient une soupe assez épaisse, comme je l’aime. Mettez un demi-verre en plus si vous aimez la soupe plus fluide.

Salez légèrement et chauffez. Quand l’eau bout, couvrez partiellement et laissez cuire 15 à 20 minutes. En quelques minutes une bonne odeur de poireau se répand chez vous. Surveillez : dès que le poireau est tendre et que les pommes de terre s’écrasent facilement du bout d’une cuillère contre la paroi de la casserole, c’est cuit.

Mixez, rectifiez le sel et poivrez. Dégustez sans attendre avec un peu de crème (vache ou soja) ou placez au frais, après refroidissement, dans une boîte bien hermétique. Cette soupe reste bonne 2 jours. Elle se congèle aussi très bien.

Ne mettez la crème (ou du lait) qu’au moment de la déguster, pas pour la conserver. Elle est aussi très bonne sans rien !

Bon appétit.

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Ce que nous dit Marguerite Duras :

« La soupe aux poireaux
On croit savoir la faire, elle paraît si simple et trop souvent on la néglige. Il faut qu’elle cuise entre quinze et vingt minutes et non pas deux heures — toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes. Et puis il vaut mieux mettre les poireaux lorsque les pommes de terre bouillent : la soupe restera verte et beaucoup plus parfumée. Et puis aussi il faut bien doser les poireaux : deux poireaux moyens suffisent pour un kilo de pommes de terre. Dans les restaurants cette soupe n’est jamais bonne : elle est toujours trop cuite (recuite), trop « longue », elle est triste, morne, elle rejoint le fond commun des « soupes de légumes » – il en faut – des restaurants provinciaux français. Non, on doit vouloir la faire et la faire avec soin, éviter de « l’oublier sur le feu » et qu’elle perde aussi son identité.
On la sert soit sans rien, soit avec du beurre frais ou de la crème fraîche. On peut y aussi ajouter des croûtons au moment de servir : on l’appellera alors d’un autre nom, on inventera lequel : de cette façon les enfants la mangeront plus volontiers que si on l’affuble du nom de soupe de poireaux aux pommes de terre. Il faut du temps, des années, pour retrouver la saveur de cette soupe, imposée aux enfants sous divers prétextes « la soupe fait grandir, rend gentil, etc. Rien, dans la cuisine française, ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux. Elle a dû être inventée dans une contrée occidentale un soir d’hiver, par une femme encore jeune de la bourgeoisie locale qui, ce soir-là, tenait les sauces grasses en horreur — et plus encore sans doute –, mais le savait-elle ? Le corps avale cette soupe avec bonheur.
Aucune ambiguïté : ce n’est pas la garbure au lard, la soupe pour nourrir ou réchauffer, non, c’est la soupe maigre pour rafraîchir, le corps l’avale à grandes lampées, s’en nettoie, s’en dépure, verdure première, les muscles s’en abreuvent. Dans les maisons son odeur se répand très vite, très fort, vulgaire comme le manger du pauvre, le travail des femmes, le coucher des bêtes, le vomi des nouveau-nés. On peut ne vouloir rien faire et puis, faire ça, oui, cette soupe-là : entre deux vouloirs, une marge très étroite, toujours la même : suicide. »

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17 réponses à “Toutes les femmes françaises… -Poireau pommes de terre

  1. Au croisement de la litterature, du bon et de l’emotion culinaire Merci encore lutsubo de nous faire voyager dans toutes les dimensions !
    Celle ci va rejoindre mes coup de coeur

  2. Merci Alexandre pour cette approche particulière de la recette, j’adore !
    J’avais lu aussi que les femmes font trop cuire (en général) touts les plats. C’est un cuisinier qui le disait mais je ne me rappelle plus de son nom.
    Bonne journée, bises.

  3. Très beau texte.
    Une petite fille de l’Asie et amoureuse des chats….
    servir un plat avec des mots simples mais joliment choisis, tout comme les accompagner de jolies assiettes et de serviettes délicates…. manger bon c’est manger ce qui est cultivé et cuisiné avec amour, comme on choisi les mots.
    Belle journée Alexandre !

  4. C’est vrai, il faut éviter de trop cuire pour plusieurs bonnes raisons, y compris les nitrites qui se transforment en nitrates (ou le contraire, sais plus) chez certains légumes. Rien de mieux que chauffer sa casserole et la poser emmitouflée dans un carton ou une boite: la « marmite norvégienne » de nos grands parents. 2 ou 3 heures après c’est cuit à point, avec sauvegarde des vitamines ! j’y ai mis ce matin du maïs …

  5. Bonjour Alexandre et merci pour toutes vos belles recettes et vos astuces. Merci aussi pour vos commentaires érudits qui nous font voyager …
    Votre blog est une bulle d’oxygène : bienfaisante et inspirante !
    Belle journée !
    Florence
    PS : mon conjoint à qui je fais découvrir vos petits plats vous remercie aussi 🙂

    • Merci à vous (et à votre conjoint qui déguste les petits plats). Je suis heureux de ce que vous m’écrivez : c’est le but de ce blog, faire « voyager » au propre et au figuré, et partager. Belle journée ! 🙂

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